Seize ans de complicité

 

Interview d'Eve Popineau par France Yorel

photos E Popineau

Eve a des souvenirs précis des chiens de son enfance : des setters et des westies affectueux, dynamiques et intelligents, dotés de la robustesse des chiens de chasse.


Comment retrouver ces qualités chez un chien de taille moyenne ?


Chez le cocker spaniel, bien sûr !


Un chien… avoir un chien.

Les amoureux des chiens savent, à quel

point, ne pas en avoir un manque à leur vie.

 

A l’âge de 25 ans,  Eve oriente son choix vers un cocker noir et feu, et cela tombe bien car  une petite chienne de cette couleur vient de naître dans un élevage proche de chez elle.

 

On est en 2005, Anggun arrive dans la famille et va la chambouler à tout jamais.


D'ailleurs, aucun autre chien ne partagera la vie d’Anggun jusqu’à sa mort.


Eve nous parle de sa chienne avec passion.

Anggun était d’une douceur incroyable avec un côté têtu mais jamais elle n’a montré les crocs. Elle était dynamique et joyeuse.

Elle était protectrice et ressentait les personnes mal intentionnées. Personne, pas même un chien, ne pouvait s'approcher de nos affaires ; sacs, bagages, même la voiture !

Elle s’est rarement intéressée aux autres chiens. Elle était assez neutre et les ignorait mais n’appréciait pas les chats qui s’aventurait sur son domaine.

 

Anggun savait parler. Elle avait élaboré un langage spécial pour sa maîtresse :

le « whouwhoument ».

 

Elle a toujours fait ça. C’était une vraie discussion ! Dès que je lui disais « on y va, on va manger » en la regardant, elle se mettait à parler. C’était exceptionnel.

 

Anggun était aimée de tous. Elle reconnaissait les amies d’Eve et les adorait.

Par contre, elle n’aimait pas les départs, et cela s'est manifesté après la séparation de ses maîtres, elle exprimait son mal-être par vocalises dans la voiture.

 

Anggun était plus qu’un chien pour Eve.

 

Anggun était mon ombre,  ma moitié, mon autre, mon amie, ma confidente. Elle m'apportait la stabilité et l’équilibre. Les rares fois où j’ai été éloignée d’elle, j’étais déstabilisée de ne pas la savoir auprès de moi. Sa « non présence » m'angoissait.

 

La seule fois où maîtresse et chienne ont été séparées  a été éprouvante.  Anggun avait dix ans et la famille l’avait laissée en garde pour des vacances à Mayotte.

Anggun est restée devant la porte jusqu’au retour d’Eve.

 

Après cet épisode malheureux, Eve emmenait Anggun partout.

 

Au restaurant, elle était d'un calme olympien. Les clients et serveurs ne se doutaient pas de sa présence, toujours surpris de la voir apparaitre de dessous la table.


Anggun était sportive et adorait les balades. Eve préparait des circuits d’environ trois heures, sans laisse, une gourde attachée au ceinturon.  Une de leur plus mémorable promenade se déroula à Belle-Ile-en-Mer, un circuit de plus de neuf heures étalé sur un week-end.

 

Eve et Anggun ont connu quelques moments de frayeur lors de leurs randonnées. Un jour qu’elles s’étaient perdues en forêt, Anggun les a menées jusqu’à une ferme où le fermier a eu la gentillesse de les ramener jusqu’à la voiture tant elles étaient épuisées.


EVE ET ANGGUN
ANGGUN

"  J'ai senti

qu'il était temps pour elle de

s'en aller."

ROOTS

Eve emmenait souvent Anggun à plage après le travail. Toutes deux couraient, puis s’asseyaient, collées l’une contre l’autre pour admirer le coucher du soleil. Ces épisodes font partie des plus beaux souvenirs d’Eve.

 

Ses petits plaisirs consistaient à être contre moi et à vouloir des caresses sur le ventre.

 

L’amour entre Eve et Anggun était fusionnel et complice.

    

Mes amis disaient souvent « Si on aperçoit Anggun, on sait que tu n’es pas très loin ».

 

Le seul regret d’Eve durant les deux dernières années de la vie d’ Anggun, c’est de ne pas avoir fait assez de sorties avec elle,  par peur de lui faire du mal.

 

Anggun a eu des problèmes de santé, comme beaucoup de chiens, mais Eve les évitait au maximum en lui offrant une vie saine et équilibrée. A chaque maladie grave, Anggun résistait.

 

Ma présence auprès d’elle était sa force. Opérée d’une tumeur très grave, Anggun souffrait énormément.

Elle ne pouvait pas s’allonger et dormait debout. Je me suis mise près d’elle, au sol, et de fatigue, elle a posé sa tête sur mon avant-bras et nous nous nous sommes endormies dans cette position.

 

Le temps a passé et Anggun a atteint seize années, ce qui est exceptionnel pour un cocker.

 

J’appréhendais le jour où elle allait me quitter. Ma petite voix intérieure me disait « reste le plus longtemps possible ».

 

En septembre 2020, Eve a remarqué une grosseur sous la gorge d’Anggun.

 

Je ne voulais pas admettre que cela pouvait être les prémisses de notre séparation. Inquiète, j’ai emmené Anggun chez le vétérinaire. J’ai su de suite que ce n’était pas bon. Le mot « Tumeur » a retenti »,  j’ai fondu en larmes, enlaçant Auggun dans mes bras. Elle était calme, comme si elle savait. Elle ne se battrait plus…

Le vétérinaire qui l’avait suivie depuis son enfance était venu nous voir et avait repris la consultation. J’ai toujours été rassurée avec lui et Auggun le connaissait bien. Avant de repartir à la maison, il m’avait dit, qu’il était temps que la nature reprenne ses droits et que nous devions profiter des bons moments qu'il nous restait pour être ensemble.

 

Auggun a tenu trois semaines pendant lequels Eve a tout fait pour lui faire plaisir.

Accès au canapé, au lit, au poisson frais, au riz-haricots, à la plage tous les soirs. Des tonnes de câlins et de caresses sur le ventre…

 

Elle était heureuse, je l’étais aussi.

 

Un matin, Eve n’a plus entendu plus le fameux  « whouwhou » car  la boule gênait Anggun.

 

J’avais si mal au cœur, car c’était sa petite marque de fabrique qui la définissait.

 

Puis les crises respiratoires ont commencé à apparaître.

 

Le jeudi soir, je l’ai emmenée voir la mer. Elle ne marchait plus. Je l’ai portée jusqu’à la plage et nous nous sommes assisses toutes les deux, le regard vers le coucher du soleil.

 

Ce soir-là , Eve a pris la décision de ne plus la laisser souffrir.

 

Elle est partie le vendredi 23 octobre. Je suis restée à la maison auprès d’elle. Le rendez-vous avait été pris pour l’après-midi. Elle le savait. Elle était incroyablement calme. Le temps s’est arrêté ce jour-là. Une sensation étrange, un chagrin immense et à la fois une délivrance.

Je l’ai portée jusqu’ à la clinique, sa tête sur mon épaule. J’ai senti qu’il était temps pour elle de s’en aller.

 

Un immense chagrin a envahi Eve. Tout lui manquait

 

Le manque de la caresser, les bisous, les whouwhous, A la maison, le silence était pesant. Je n’entendais plus ses petites griffes au sol quand elle marchait. Je n’entendais plus le bruit de ses babines secouées après avoir bu. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps quand j’ai réalisé que je ne la reverrais plus.

 

La voyant si triste, la famille d’Eve l’a suppliée de reprendre un autre chien et l’idée a fait peu à peu son chemin, et un jour, Eve a consulté des annonces.

 

C’est ainsi que Roots est arrivée dans sa vie.

Roots est différente d’Anggun ;  elle est plus indépendante. Eve a hâte de lui faire découvrir les joies de la randonnée.

Roots panse sa peine mais elle sait qu’elle n’oubliera jamais Anggun.

D’ailleurs, depuis son départ vers les étoiles, Eve n’a pas revu un seul coucher du soleil.  

 

Je n’arrive pas encore à revenir sur sa plage préférée, la plage de son dernier soir. Roots prend la relève et je sais qu’elle saura être à la hauteur. Ainsi,   une nouvelle histoire s’écrit.


© CELSIUS Prod, SABAM2021