UN MAL DE CHIEN

 

par Francine Bruez

Photo: banque d'images CELSIUS Prod

Qu'y-a-t-il de plus dramatique qu’une naissance non réussie?


Le carlin Niouky vivait ce drame au quotidien, lui qui  se sentait si mal dans sa peau de chien.


Niouky admirait et adulait tellement les humains qu’il aurait voulu en être un.


C’est un fait établi.


Il détestait aboyer ; lui voulait parler.


Il détestait ses pattes ; lui voulait des mains.


Il n’en pouvait plus de marcher à quatre pattes ; lui voulait des pieds.


Il haïssait ses poils ;  lui rêvait de doux cheveux.


Pour Niouky,  manger dans une gamelle à terre était profondément humiliant, mais comment pouvait-il faire autrement ?


Un copain chien lui conseilla de porter des habits et c’est ce qu’il fit. Il profita d’une visite à l’animalerie pour rester scotché au rayon des vêtements et il gémit devant un ensemble bleu azur.  Sa maîtresse qui l’adorait lui acheta la tenue qui lui faisait plaisir.


Niouky acceptait de rester tout nu dans la maison, mais il insistait pour que sa maîtresse l’habille quand ils devaient sortir.


Hélas, toutes ses actions n'eurent pas l'effet escompté. Quelques dames âgées lui firent bien des compliments, mais les chiens du quartier lui rirent à la figure.


Niouky était de plus en plus déprimé et cherchait de plus belle à ressembler à un humain.


Une autre fois, alors que la fille des voisins était venue se faire couper les tresses par sa propre maîtresse, il attrapa la chute de cheveux, l’emporta dans son panier, bien déterminé à grogner sur le malvenu qui essaierait de la lui dérober.


Désormais, partout où il allait, il arborait deux tresses sur la tête, tel un trophée.


Curieusement, les chiens du quartier ne se moquèrent plus de lui, mais ils ne l’approchèrent plus non plus. Peut-être le prenaient-ils pour un fou ? Quoi qu’il en soit, les autres ne le considéraient pas comme l’un des leurs et Niouky  était de plus en plus seul et profondément désespéré.


Plus le temps passait et plus il s’isolait car personne ne le comprenait :  ni les humains, ni les chiens, ni même sa maîtresse qui commençait à s’irriter de ses sautes d’humeur régulières.


C’est durant la période des grandes vacances que vint son salut.


Niouky se promenait dans un champ quand il tomba nez à nez avec un ver de terre. Il n’en avait jamais vu auparavant tant il était obnubilé par sa petite personne.


« Ouh là ! cria le ver, tu as failli m’écraser.


- Tu es vraiment un animal horrible, lui répondit Niouky, mais je suis désolé de t’avoir fait peur. 


- Horrible ? Cela ne fait pas plaisir à entendre, mais qu’est-ce que tu y connais, toi, à la beauté ?

Tu penses vraiment que tu es joli en mi-homme/ mi-chien avec ta perruque sur la tête ?


- Je ne voulais pas t’offenser, répondit le petit chien, cependant très vexé.


- Dans ma famille, on est tous des vers de terre de père en fils, et on se trouve très bien comme ça. On creuse des         galeries, on anoblit la terre, on est fiers de ce que nous, si petits, on accomplit. Qu’est-ce que tu fais de ta vie, toi - déclara le ver- à part te lamenter ? »


Niouky ne sut quoi répondre. Le ver de terre avait raison. La créature molle et visqueuse avait une utilité sur terre et elle en était fière. Lui était mille fois plus agréable à regarder qu’un ver, et pourtant, il passait son temps à pleurnicher sur son sort.


Ce fut une révélation pour lui et il reconsidéra son statut de chien.  Il réfléchit longtemps avant de prendre  une bonne résolution.


A chaque fois  que je regretterai d'être un chien, je penserai que j'aurais pu être pire.


Il s’y tint et cela fonctionna.


Il s’imaginait en ver rampant ou en chenille poilue et chacune de ces images le réconfortait.


Quand il était vraiment désespéré, il courait au jardin, creusait un trou et allait discuter avec les vers de terre.


Enfin, façon de parler, car les vers et lui ne se comprenaient pas,  Niouky conversait avec son imagination, il faut bien vous avouer la vérité à présent.


Quoi qu’il en soit, plus il rencontrait ses nouveaux amis, les invertébrés, plus il se trouvait lui-même beau et bien constitué. Il finit même par enterrer sa perruque et n’essaya plus de s’habiller.


Mieux dans sa peau de chien, un chien de race tout de même, il faut le relever, Niouki se promena avec plus d’assurance et ses relations canines s’améliorèrent.


Peu à peu, on l’aborda et il se fit quelques amis. Sa maîtresse l’aima de nouveau et il en fut réconforté.


Au fil des années, sa situation changea et ses problèmes existentiels finirent par faire partie du passé.


Mais le temps file, surtout pour un petit chien,   et, un jour d’octobre,  le six exactement, arriva pour lui le moment de partir vers le ciel.


Il fit un point sur sa vie et soupira.


« La vie est courte et j’ai gâché beaucoup du  temps que l’on m’avait accordé.  Durant toutes ces années, j’étais seul et malheureux, personne ne m’aimait parce que je ne m’aimais pas moi-même.


Le jour où j’ai compris que je ne pourrais jamais devenir humain et que je devais rester un chien, j’ai été  sauvé. La résignation peut conduire à la mort, mais elle peut aussi nous conduire sur un autre chemin. C’est ce que j’ai choisi : m’ouvrir aux autres, les regarder, les écouter, et remplir ma vie de leur amour et de leur amitié.


Aujourd’hui, la mort me rattrape, mais elle n’est pas l’aboutissement de la résignation, alors je peux partir en paix.  »

 

 

© Copyright. Tous les droits sont réservés à CELSIUS Prod - SABAM 2017-2022.